top of page

Le blog présente la presse et l’actualité de NOLWENN FALIGOT ainsi qu’une série exclusive d’articles avec un point de vue singulier sur la mode, l’art et la culture ; en Bretagne, dans les Pays Celtes et au-delà.

ANNÉES FOLLES POUR UNE MODE BRETONNE MODERNE

L’automne dernier, Loudéac, commune des Côtes d’Armor, a rendu un vibrant hommage à Jeanne Malivel, enfant d’un pays qui fut jadis un berceau du tissage des toiles de lin.

Qui était-elle ? Une infirmière de formation diplômée des Beaux-Arts de Paris, adhérente enthousiaste du Groupe régionaliste breton qui envisageait une autonomie de la presqu’île armoricaine, et surtout une artiste considérée comme pionnière de l’art moderne breton.


Autoportrait de Jeanne Malivel
Autoportrait au crayon sur papier de Jeanne Malivel (DR)

Sa courte existence, – elle est morte en 1926 à l’âge de 31 ans –, aura projeté une lumière fulgurante de créatrice y compris dans le domaine de la mode.

Jeanne Malivel est célèbre comme co-fondatrice d’un mouvement culturel, petit par la taille, mais très influent par les créations, les Seiz Breur (les «Sept frères» en breton). C’est un ensemble qui a révolutionné l’architecture, la sculpture, la peinture, le mobilier, le design des objets du quotidien à commencer par les faïences et leur décoration. Cet élan artistique a enrichi le rapport entre ancienne tradition celtique et modernisme à l’heure du Bauhaus dans les pays germaniques, du surréalisme de Prague à Paris.




Or le déclic, si je puis dire, vient de la mode.

En effet, en septembre 1923, Jeanne se rend avec son ami René-Yves Creston, au Pardon du Folgoët, dans le Finistère. C’est autant sa casquette de peintre-dessinateur que d’ethnologue qui vibre alors chez un ami lui aussi créateur polyvalent et originaire de Saint-Nazaire. Un goût de liberté qui les anime et qui verra plus tard Creston, survivant à Jeanne Malivel, entrer dans la Résistance sous l’Occupation.

En tout cas, au cours de cette cérémonie annuelle qui consiste à honorer le Saint du lieu dans toute la Bretagne, Malivel et Creston sont émerveillés par les costumes que portent les processionnaires. Beaucoup de femmes sont drapées de noir, en deuil des hommes perdus dans la terrible guerre qui s’est achevée cinq ans plus tôt. Mais sur leurs costumes scintillent les perlages, les broderies, les dentelles d’un style déjà nouveau ou sur le point d’éclore.

De plus, les deux artistes ne peuvent s’empêcher de confronter les costumes ancestraux de mode celtique aux vêtements que portent les femmes des villes habillées par la mode des Années folles et venues assister au Pardon.


Le Pardon du Folgoët : costume traditionnel et mode des Années folles (©Arch.Dept.Finistère)
Le Pardon du Folgoët : costume traditionnel et mode des Années folles (© Arch. Dept. Finistère)

Jaillit en eux l’idée de trouver une façon de maintenir ces traditions tout en les renouvelant par des ensembles, vêtements masculins et surtout féminins, qu’on peut porter dans la vie moderne de ces années 1920. Une vie qu’on veut dévorer à pleines dents au lendemain de l’effroyable guerre mondiale, et du monde qui se découvre à vive allure avec l’automobile et l’avion. Un monde dont on connaît mieux les contours grâce à la radio TSF (transmission sans fil) et au cinéma qui va bientôt parler. Un monde urbain où l’on se trémousse au rythme du charleston et du jazz, où les femmes libérées se coiffent à la garçonne. Où l’écrivain Colette publie Le blé en herbe (1923), idylle entre un adolescent et une femme plus âgée du côté de Saint-Malo, fruit de la rencontre des touristes et des habitants du cru, paysans et pêcheurs.


Les Seiz Breur, le déclic de la mode


C’est l’époque où le poète surréaliste Saint-Pol-Roux circulant, avec sa fille Divine, à travers la Bretagne à bord de sa voiture, un bolide à six cylindres, écrit La randonnée, réflexion sur le temps raccourci par l’augmentation de la vitesse : « Démence du chauffard : être arrivé avant qu’être parti. Mieux : être arrivé sans être parti. Puisqu’on n’a rien vu, autant dire qu’on est resté là. »


Divine Saint-Pol Roux en 1923 (Arch. Alistair Whyte)
Divine Saint-Pol Roux en 1923 (© Arch. Alistair Whyte)

Bref, pour adapter les vêtements d’antan au monde moderne, Malivel et Creston forment un projet de lancer un magazine, un journal des modes (Ar Mod, en breton) qui présenterait des dessins de vêtements, des patrons de coupe, des planches de broderies qu’on pourrait décalquer. Une publication visant à lancer un débat sur la nouvelle mode.

Susanne Creston, l’épouse de René-Yves, et le peintre Jean Guinard se joignent au projet. Jeanne est d’autant plus passionnée par cette idée qu’elle occupe depuis le début de l’année un poste aux Beaux-Arts qui incluait l’étude et la réalisation de broderies et de dentelles, comme le signale Olivier Levasseur dans sa biographie, Jeanne Malivel (www.coop-breizh.fr).

Hélas, le journal des modes bretonnes, Ar Mod ne verra pas le jour, faute de moyens financiers suffisants.

Il aura été l’embryon de ce mouvement des Seiz Breur fondé peu après à La Turballe comme groupement d’artistes et d’artisans bretons, jouant un rôle « d’ensembliers ». Ainsi ce mouvement était né de la facette pour laquelle il est le moins connu : l’art vestimentaire.

À l’inverse, de grands couturiers parisiens peuvent s’inspirer de la Bretagne. Tel est le cas de Paul Poiret (1879-1944) précurseur du style Art déco (dont il partage le style épuré avec les Seiz Breur) et président de la chambre syndicale de la Haute-Couture. Ayant acheté avant-guerre une maison à l’Ile-Tudy, face à Pont-L’Abbé, il trouve une inspiration locale, en fréquentant les ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez, les Penn-Sardin. Ces sardinières se sont mises en grève en 1924 pour obtenir de meilleurs salaires, et l’on voit pour la première fois une femme, l’une des leurs, Joséphine Pencalet, élue dans un conseil municipal. On comprend que Poiret s’inspire de ces Bretonnes autant que de suffragettes qui défrayent la chronique. Témoin ce dessin (déjà de 1922) réalisée par la modéliste Muguette Buhler pour les collections de Poiret.


Modèle breton pour une collection de Paul Poiret (dessin de Muguette Buhler, 1922) © Musée des Arts Décoratifs
Modèle breton pour une collection de Paul Poiret, dessin de Muguette Buhler, 1922 (© Musée des Arts Décoratifs)

Pendant ce temps, en 1925, le groupe Seiz Breur a obtenu la Médaille d’or collective pour le pavillon breton à l’exposition des Arts décoratifs à Paris.

De santé défaillante, Jeanne meurt l’année suivante. Ce n’est pas pour autant la fin de l’histoire d’un intérêt croissant pour une mode bretonne moderne. Avec Marguerite Gourlaouen de Douarnenez (1902-1987), Suzanne Creston fonde la confrérie des Nadozioù(les Aiguilles) basée à Nantes chez le sculpteur Jorj Robin. La première, Douarneniste, consacra ensuite sa vie à un autre volet de la culture bretonne, celle de Skol Ober, les cours de breton par correspondance qu’elle a mis en place.

C’est alors que voit le jour un nouveau magazine économique – Le Consortium breton – animé par Jean de Saisy de Kermapuil et le grand barde druidique de Bretagne Taldir Jafrennou. Son slogan : Ober gant hon bro unan binvidik, travailler au bien-être de notre pays. En 1927, ils organisent le premier Festival Interceltique avec leurs amis d’Écosse, d’Irlande et du Pays de Galles. Publié la même année et jusqu’en 1928, ce mensuel contient un feuilleton intitulé La mode Bretonne, rédigé par une certaine Azyllis dont j’aimerais bien connaître l’identité.

En feuilletant ce magazine bien documenté, on voit les idées d’Azyllis illustrées de croquis qui n’ont rien perdu de leur saveur. Cette journaliste voulait encourager une modernisation des costumes traditionnels ou de robes de mariage sans nécessairement métisser ceux-ci avec d’autres formes venues d’autres pays, comme on peut le souhaiter aujourd’hui. Ainsi en mai 1927, elle aborde les toilettes de mariages et note cet exemple : « Tout récemment j’ai eu l’occasion de voir une mariée quimpéroise dont le costume de satin blanc était orné de fleurs peintes rebrodées de petites perles en argent. Et vraiment cela était d’un ravissant effet. Les fleurs étaient très bien rendues, mais cette idée de les cerner de toutes petites perles était des plus heureuses, car elles leur donnaient un relief inattendu. Le tablier de tulle perlé argent, laissait voir par transparence l’ornementation de la jupe. Je croirais volontiers qu’une des nouveautés de la saison consistera dans ces tissus peints et reperlés… »


« Créer hardiment du neuf »


Micheau-Vernez (1907-1989) (DR)
Micheau-Vernez (1907-1989) (DR)

Sur la lancée des Seiz Breur, le peintre, affichiste et décorateur Robert Micheau-Vernez, qui connait Creston, poursuivra la mise en valeur des traits et couleurs. Si l’on retrouve le costume traditionnel dans son œuvre, c’est dans le chatoiement des robes sur ses tableaux et le mouvement à donner le tournis de ses faïences (chez Henriot à Quimper), avec ses couples de danseurs de pays de toute la Bretagne. Elles ont de quoi inspirer, à n’en pas douter, des créations de nos jours, comme le prouve le livre que Philippe Théalet vient de publier en collaboration avec Mikael, le fils de l’artiste Micheau-Vernez (www.groix-editions.com). On y retrouve les études, les patrons de costumes et de coiffes, et l’explosion des coloris dans ses tableaux. « L’alchimiste des couleurs », un surnom qui lui sied bien comme en témoigne le tableau de cette Bigoudène, ci-contre.


De son côté, si René-Yves Creston a surtout acquis une grande renommée par le dessin et l’illustration, il a poursuivi sa quête par une étude systématique des vêtements anciens et contemporains.

Il nous en reste – sur le plan du costume traditionnel – la « Bible » en la matière, le livre Le Costume breton (Ed. Tchou, 1974), hélas publié dix ans après la mort de son auteur.

Son ami Pierre-Roland Giot (spécialiste des mégalithes et de la civilisation celtique), en a écrit alors une préface pertinente. Elle se terminait par des mots que je trouve prémonitoires en évoquant des costumes trop souvent appelés « folkloriques » à l’époque : « Il ne peut donc être question de maintenir en survie artificielle des fossiles. Il vaut mieux chercher à créer hardiment du neuf, pourvu qu’il puisse prendre racine dans les masses, ne pas être une mode ou une toquade passagère, pourvu qu’il puisse être totalement différent de ce qui se fait chez les voisins, et surtout être en intime harmonie avec l’indéfinissable génie secret des hommes. Le talent et l’inspiration le permettent seuls. Les navets ne sauraient trouver racine dans les magnifiques terroirs de la Bretagne. »


Fileuse de Pont-L’Abbé – source : René Yves Creston, Le costume breton (Ed. Tchou, 1974)
Fileuse de Pont-L’Abbé – source : René Yves Creston, Le costume breton (Ed. Tchou, 1974)

© 2020 NOLWENN FALIGOT, All rights reserved

bottom of page