Voici un nouvel épisode du tour de la mode celtique, d’hier et d’aujourd’hui, que je propose sur ce blog. Après l’Écosse, l’Irlande, la Galice, il est bien naturel de jeter un coup d’œil sur une nation qui, par son histoire, son patrimoine et sa langue, est, avec la Cornouaille britannique la plus proche de la Bretagne.
Lorsqu’on évoque les créateurs de mode gallois, des noms célèbres viennent à l’esprit : Laura Ashley, Julien Macdonald ou Mary Quant qui vient de nous quitter en avril 2023. Nous pouvons aussi constater que des stylistes d’une nouvelle génération, se rapprochent par leur création de ce que je réalise en Armorique : imaginer et fusionner des tendances nouvelles avec un patrimoine aux profondes racines celtiques. Et pour cela il est intéressant de replonger dans l’histoire du costume traditionnel gallois.
Mais passons d’abord en revue des noms célèbres.
Mary Quant qui a inventé la minijupe, est sans doute la plus connue. Elle symbolise le mouvement d’émancipation et l’insouciance des femmes des années 1960, l’effervescence de Soho et Chelsea (où elle avait établi sa boutique) et le mouvement contestataire international. Mais c’est oublier, que fille de deux enseignants gallois, ses premières créations sont inspirées par le monde celtique. Y compris les mini-skirts qui, utilisant des tartans pour les jupes à carreaux, font songer au kilt écossais dont j’ai évoqué l’épopée ailleurs sur ce blog.
Laura Ashley, avait vu le jour en 1925 à Dowlais (l’équivalent gallois de Daoulas dans le Finistère, « les deux rivières ») du comté de Merthyr Tydfil. Elle a débuté par l’impression de foulards de style victorien au début des années 1950. La décennie suivante, de sa boutique à Machynlleth, elle développe sa marque romantique avec ses premières robes et chemises. Or, ses réalisations Arts & Crafts sont grandement inspirées de la nature galloise, en particulier sa flore. Ses créations ont conquis le monde et son empreinte a continué, grâce à la pérennité assurée par sa famille, de séduire des générations de femmes bien après sa disparition en 1985 à Carno (Powys) où elle avait bâti son usine.
Julien MacDonald, né dans la ville ouvrière du même comté de Merthyr Tydfil, a appris à tricoter grâce à sa mère. Il a été recruté par Karl Lagerfeld pour travailler chez Chanel avant de remplacer l’Écossais Alexander McQueen chez Givenchy.
David Emmanuel, né à Bridgend (Glamorgan), a connu un grand retentissement en dessinant la robe de mariée de Lady Diana, il est vrai la princesse de Galles. Peut-être lui avait-il appris quelques mots de gallois, lui dont c’est la langue maternelle ? Il a habillé de nombreuses autres célébrités dont l’actrice galloise Catherine Zeta-Jones.
Et quant à Timothy Everest, toujours dans le monde du cinéma, il s’est fait une renommée en réalisant les costumes de films de l’Écossais James Bond.
On le voit bien : on peut être un fameux designer gallois sans nécessairement se revendiquer de cette « Welshness », l’identité galloise. Pour cela, il faudra attendre les stylistes dont je détaille – plus bas – les créations : Jayne Hicks & David Tomlin ou Sian O’Doherty.
Pour saisir cette évolution, mieux vaut se pencher sur un patrimoine ancestral.
Croix de Saint-David et laine
En matière de design, on assiste à un croisement de symboles gallois avec l’usage d’un textile qui depuis toujours l’emporte sur les autres : la laine.
Le symbole principal, c’est la croix de Saint-David, du nom du protecteur du pays de Galles qui a vécu au VIe siècle (Dewi Sant), fils de Sainte Nonne (qui a donné son nom à la bourgade bretonne de Dirinon où je demeure). Compagnon de Saint-Paul (de Léon), de Saint Gildas et de Saint Teilo, il est célébré en Bretagne en divers lieux tel Saint-Divy ou Pouldavid (Douarnenez).
Mais surtout, patron du pays de Galles, il est fêté le 1er mars. Sa croix (jaune sur fond noir) et sa bannière sont des symboles puissants de l’esprit d’indépendance tout comme le dragon rouge qui figure sur le drapeau national. Il est donc logique de retrouver la croix de Saint-David à travers les âges dans le design de la mode galloise. Ainsi voit-on ce motif remis au goût du jour dans l’exemple qui suit.
Il s’agit d’un bel exemple de réinvention du symbole de la traditionnelle croix de Saint-David, par la manufacture lainière du Melin Tregwynt (le «Moulin» de Tregwynt) qui modernise dans les années 1980 son motif phare inspiré d'un tissage Shaker du début du XVIIIe siècle.
Design que l'artiste Lucy Morgan a choisi de mettre en valeur pour son concert de la Saint-David au Wales Millennium Centre en 2015.
Installée sur la côte du Pembrokeshire, l’usine de laine de Melin Treggwynt dont la fondation remonte au XVIIe siècle, souligne la grande tradition d’usage de la laine depuis les temps les plus reculés.
Dès le Moyen-Âge, les verts pâturages gallois ont permis l’élevage de moutons tandis que les importants cours d’eau ont fourni l’énergie nécessaire à sa production à l’époque préindustrielle. D’autant plus que chaque village avait son système original de cardage de la laine. D’où une expertise qui a traversé le temps jusqu’à nos jours pour fabriquer ces textiles.
À partir du XIXe siècle, l’industrie de la laine était la plus importante qui soit au Pays de Galles, avec des centres de production à travers tout le pays.
Diversités de costumes
Il existe une diversité de costumes traditionnels dans les différents comtés du pays de Galles tout comme en Bretagne. Simplement, on a perdu l’habitude de présenter cette pluralité en ne montrant de nos jours essentiellement qu’un costume traditionnel comme s’il représentait l’ensemble du pays de Galles.
On notera, par exemple, que les costumes sont plus gais au sud qu’au nord.
Les classes sociales déterminent des variations frappantes. C’est ainsi que les femmes de plus basse extraction vont pied nu ou portent – au lieu de chaussures – des bas sans semelles. À l’inverse, les plus fortunées porteront un costume du dimanche, ce qu’on appelait dans le temps « l’habit pour manger la viande rôtie » (« dillad cig rhost » selon l’expression galloise aux mots identiques en breton).
Quant aux femmes de Glamorgan (au sud), elles portent un manteau qui s’inspire directement du « laena » celte et qui a survécu en Écosse. Ailleurs on porte un manteau à capuche (souvent rouge sur bordeaux) à la mode irlandaise qui pourrait faire penser à la capuche de goémonier de Bretagne (kalaboussen) que j’ai revisité dans mes collections. On dit par contre, que les femmes de la région de Gower portent des vêtements avec une origine flamande.
On découvre aussi la prédominance du rouge ou de l’écarlate, couleur favorite des zones côtières, comme on l’a constaté à l’ouest de l’Irlande dans les îles d’Aran et ailleurs. Notons que le rouge est souvent préféré au XIXe siècle pour les sous-vêtements. Les châles (ou whittle) tout comme les vestes ou les jupes peuvent être également conçus dans des tissus à carreaux noirs sur crème.
Je note aussi la diversité des bonnets dont ceux pour les enfants qui font songer à ceux de Bretagne et dont les croquis ci-contre sont extraits de l’excellent livre de Ken Etheridge, «Welsh Costume» (in the 18th & 19th Century), Dinefwr Press, 2011.
En évoquant les enfants, en voici ci-dessous une illustration avec leur costume traditionnel au moment d’évoquer brièvement l’histoire de ces vêtements.
Costume traditionnel gallois
Comme on l’a vu avec les articles concernant l’Écosse ou l’Irlande, la renaissance du costume traditionnel date du XIXe siècle. Il est souvent lié au mouvement pour le renouveau et la préservation de la langue celtique locale. C’est particulièrement vrai du monde gallois.
En effet, les Gallois attribuent à Augusta Hall un rôle central dans ce « revival », cette renaissance. Aussi connue sous son nom de Lady Llanover (ou son surnom bardique Gwenynen Gwent), cette dame est une remarquable revitalisatrice de la culture galloise, notamment la musique et la danse.
Née en 1802, dans le Monmouthshire, elle s’est rendue célèbre en écrivant en 1834, à l’occasion de l’eisteddfod, le festival où l’on présente des concours de musique et de poésie, un essai suggérant de préserver la langue et le costume traditionnel (‘The Advantages resulting from the Preservation of the Welsh Language and National Costumes of Wales’). Or, elle insiste sur le fait que les Galloises devraient porter des vêtements conçus avec la laine cardée au pays de Galles par opposition aux tissus de coton moins coûteux mais de plus en plus populaires. Un dilemme que nous autres, stylistes, connaissons bien aujourd’hui !
Lady Llanover commissionne à l’époque la réalisation de dessins en couleur de divers costumes féminins notamment dans le Cardiganshire et le Pembrokeshire.
Ce qui souligne bien que le costume traditionnel (« Gwisg Gymreig draddodiadol ») que portent les femmes à la campagne au cours des XVIIIe et XIXe siècle connaît de grandes variations selon les régions du pays.
Cependant, l’aspect national gallois se manifeste particulièrement en 1897, pour le centenaire de la tentative d’invasion des Français à Fishguard. De quoi s’agit-il ?
À la pointe de Carregwastad, la « bataille » a duré deux jours. En février 1797, des soldats de la Légion noire – recrutés parmi des prisonniers à Brest par la République française – ont débarqué dans la baie de Cardigan. Mais l’invasion a raté et ils se sont rendus à la milice de Fishguard formée par la population locale. L’héroïne de cet épisode est une cordonnière nommée Jemima Nicholas (dit Jemima Fawr) qui a capturé avec sa fourche douze envahisseurs. L’imagerie populaire l’a toujours représentée vêtue en costume gallois, robe rouge et châle rouge, tablier blanc et chapeau haut-de-forme noir, porté sur le bonnet blanc.
Pour célébrer ces femmes résistantes et la nation galloise, on a organisé des manifestations qui vont relancer le port du costume traditionnel.
Le costume gallois comprend une robe structurée (cintrée avec un grand plis dans le dos) en flanelle feutrée (bedgown ou betgwn en gallois) principalement de couleur bleu foncé ou rouge, voire à rayures ou à carreaux. Une version plus rudimentaire est une simple robe en forme de T que l'on trouve surtout dans le nord-ouest ou sud-est (en général en coton imprimé, mais aussi en flanelle à rayures comme dans l'exemple ci-dessous). Les deux coupes peuvent également être courtes selon les régions et les époques.
Pour la jupe ou le jupon (pais en gallois) de flanelle on utilise les mêmes couleurs chatoyantes, certaines jupes sont même matelassées et surpiquées de divers motifs. Le tablier porté sur la jupe est très souvent à carreaux dans des couleurs naturelles. Pour recouvrir l’ensemble, la cape qui possède souvent un grand capuchon de nature à couvrir le haut chapeau. Celle-ci est notamment de laine bleue, ou rouge à partir de la fin du XIXe siècle.
En complément on trouve des châles aux formes diverses en fonction des régions – du petit carré porté sur les épaules aux larges rectangles enroulés autour de la taille ou « whittles » - avec de longues franges ou sans franges, aux couleurs généralement naturelles, voire rouge à certains endroits comme Fishguard, ils sont unis la plupart du temps, mais peuvent également être à motif (à rayures, à carreaux ou plus tardivement au motif paisley ramené de la région du Cachemire au XVIIIe siècle). Parfois un simple fichu est porté autour du cou ou sous le chapeau.
Le nursing shawl (châle pour porter ou allaiter) est un élément typiquement gallois venu du Sud du Pays. Les mères - parfois également les pères - s'enroulent avec leur bébé dans ce grand châle qui sera utilisé jusque dans les années 1960. Ce châle est un des ancêtres de l'écharpe de portage en vogue de nos jours.
La femme galloise porte toutes sortes de bonnets en lin ou en coton - à dentelles, à volants ou encore matelassés - par-dessus lequel elle peut placer le célèbre chapeau en peau de castor (de nos jours plutôt en feutre). Il peut aussi varier : les hauts-de-forme étant parfois remplacés par des coiffures coniques comme on en voit à Cardiff ou à Swansea. Dans la vie courante, elle peut ne porter que le bonnet.
J’ajoute qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, les femmes portent en compléments des manches amovibles qui font penser aux « berr manchoù » bretons que je réinterprète dans certaines de mes collections.
Cardigan
Reste à signaler les cardigans portés principalement au cours d’un Eisteddfod, le festival de musique, de poésie déjà évoqué (dont le plus ancien au château de Cardigan au XIIe siècle). Le nom ne nous est pas inconnu puisqu’il rappelle celui du tricot conçu à la main et la machine, gilet de laine ouvert par devant avec des boutons.
Il a été inventé au XIXe siècle par James Thomas Brudenell, le comte de Cardigan, qui se trouvait trop à l’étroit dans son uniforme. Selon la légende il aurait tranché son pull-over avec son sabre, inventant le « cardigan ». Celui-ci devient célèbre, d’abord comme vêtement de la noblesse, quand cet officier s’illustre au cours de la guerre de Crimée de 1854 et la désastreuse « charge de la brigade légère » (à l’époque Britanniques et Français combattent les Russes dans cette malheureuse région).
Commercialisé quinze ans plus tard, le cardigan devient au siècle suivant, en 1920, une pièce de vêtement associée au tailleur de Coco Chanel. Et désormais un élément essentiel de nombreux ensembles féminins comme masculins.
Les héritiers contemporains
Cet héritage multiforme se retrouve de nos jours dans la création d’une nouvelle génération de stylistes.
Tel est le cas de Jayne Hicks & David Tomlin. Au lieu de demeurer stylistes pour des maisons comme Ralph Lauren, ces amis d’enfance ont décidé de retourner dans leur pays et de lancer leur propre marque. Elle a pour nom « Coracle » (du gallois cwrwgl, bateau de cuir et d’osier qu’on appelle aussi currach ou curragh en irlandais), cette embarcation emblématique de la ville du sud-ouest où ils ont grandi : Carmathen (en gallois Caerfyrddin, qu’une certaine légende donne comme le lieu de naissance de Merlin l’enchanteur).
Objectif ? Lancer une marque qui renoue avec le patrimoine gallois, et en particulier avec l’industrie de la laine. Comme l’explique Jayne (sur le site WalesOnline) :
« De nos jours, c’est bien triste, il reste peu de manufactures lainières qui produisaient ces merveilleuses couvertures, une partie incroyable de l’héritage gallois, et nous avons pensé pouvoir faire quelque chose pour les faire renaître. »
Mais au lieu de réaliser des couvertures pour les lits, Jayne et David, ont décidé de créer des manteaux, unisexe, en partenariat avec une usine de tissage, l’Elvet Woolen Mill sur les rives de la rivière Duad.
« Installé dans la beauté champêtre du pays de Galles de l’Ouest depuis 200 ans, notre manufacture est dirigée par une famille charmante (les Tolputt) qui partage avec nous le point de vue éthique, de laines traçables permettant de produire des matières magnifiquement cardées avec la même technique chevronnée et experte du temps jadis. »
De son côté, Sian O’Doherty, en dépit de son nom irlandais, réalise des vêtements avec une approche fraîche pour une esthétique textile traditionnelle (à Ash farm, dans le Pembrokeshire, sa ferme que l’on peut visiter). Elle décrit elle-même la façon dont « elle dessine et réalise à la main chaque objet ou élément de textile… S’inspirant de la beauté du paysage de son pays, combiné avec les motifs et les techniques de fabrication des textiles gallois, elle créée des tissus tricotés de façon unique pour la mode et les accessoires d’intérieur. »
Ajoutons enfin, ce qui me rapproche de sa démarche, qu’elle ne se contente pas de confectionner des réalisations originales mais s’applique à informer ses clients de l’origine de tous ses matériaux dans le Royaume-Uni, sur la traçabilité, les circuits courts et la durabilité de ce qu’elle produit à partir de la laine de ses moutons.
Pour terminer sur une note humoristique, la question a fait fureur dans le monde de la mode récemment : « Dior a-t-il copié la mode galloise ? »
À la lectrice, au lecteur de ce blog d’en décider ! Lorsque des stylistes gallois ont posé la question ils se sont vu répondre par une fin de non-recevoir de la grande marque française.
En un sens, c’est peut-être une victoire de la mode galloise que d’influencer ainsi la profession – tout comme c’est arrivé pour les Irlandais – à l’échelle internationale.